UN CERTAIN CINEMA

Un instant d'innocence, de Mohsen Makhmalbaf (1997)

Sept ans sont passés depuis la sortie du chef-d’œuvre Close-Up (1990). Mohsen Makhmalbaf entreprend de raconter un fait divers autobiographique à sa propre manière par le biais du cinéma. L’histoire paraît simple, un jeune homme âgé de seize ans poignarde un policier pour s’affirmer politiquement. Le Shah n’est plus dans les mémoires après la révolution iranienne, et les années se sont écoulées. Devenus amis, Mohsen et Ali se retrouvent pour mettre en scène cette histoire du passé, qui leur faut raconter pour l’oublier.

Le cinéaste emploie la mise en scène sous une forme quasi documentaire, suivant ici et là des personnages qui ne le sont pas encore. Effectivement, Un instant d’innocence s’articule sur le questionnement du cinéma, de la raison de filmer un tel fait divers. Pour cela, il était nécessaire que l’auteur derrière le long-métrage prenne en compte autre chose que son point de vue seul. C’est ainsi que la victime du passé doit choisir son jeune lui, lui prodiguant conseil sur la route. Makhmalbaf fait de même ensuite.

Mais peu importe la volonté derrière l’idée de réaliser ce film, il s’agit là davantage d’un positionnement auprès de ces jeunes, encore « innocents » du monde. Sans repère propre sur le temps qui les dépasse, pour prendre conscience des choses les entourant.

En caméra portée, nous suivons de près le cheminement de ces acteurs en devenir, basculant parfois entre eux dans ce passé de jeunes qu’ils n’ont jamais été. Et pourtant, ils réussissent à les incarner. Non sans difficulté certes, car tout cela n’a pas énormément de sens. Ces jeunes sont pris sur le moment à la caméra dans l’incompréhension de ce qu’ils jouent, refusant avant les toutes dernières minutes d’être des acteurs. Ils se disent sauveurs de l’humanité, aiment déjà quelqu’un tendrement.

La pureté à l’écran de ces échanges est d’autant plus belle qu’elle se matérialise à distance des adultes. C’est ainsi qu’ils les observent, aperçus au loin en voiture ou dans le hors-champ quand ils ne peuvent plus compter sur eux pour les aider. Pourtant, il n’y a pas de fausseté quelconque qui se dégage de ces rapports entre jeunes et endurcis de la vie, car Un instant d’innocence évoque subtilement la difficulté pour les initiateurs du long-métrage à passer à autre chose, prenant le temps de revisiter les lieux d’autrefois et de décrire les détails précisément aux comédiens. L’un veut tirer sur la jeune fille qu’il aimait et qui ne l’aimait pas, le réalisateur veut filmer (shoot) dans l’instant les circonstances absurdes de son geste ancien.

Regarder ces enfants pleurer et souffrir à l’idée de jouer inclut d’une certaine manière les premiers concernés, alors absents du cadre. Sur un mouvement de caméra plus rapproché, Mohsen Makhmalbaf conclue son film. Le policier a donné sa fleur à la jeune fille, et le bras du militant s’approche pour briser l’union. Plus de visages derrière ce plan, mais du geste. Qu’ils soient ces acteurs ou les individus du passé importe peu. 

Leurs chemins seront faits d’erreurs également, s’ils ne le sont pas déjà.

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