UN CERTAIN CINEMA

La Grâce, de Ilya Povolotsky (2024)

Tel le train d’Alexandre Medvedkine, un tandem composé d’un père mutique et de sa fille traverse à bord de leur van une Russie rurale, marquée par une certaine violence et une certaine pauvreté, pour organiser des projections de films. Avec ce postulat d’origine, Ilya Povolotsky offre un voyage qui laisse progressivement plus de variations sur les images que sur les mots dits, d’ailleurs si peu nombreux.

Si ce choix d’un film dans un presque silence peut surprendre à première vue, c’est surtout le refus de l’explicatif et du psychologique qui pourrait déboussoler les plus adeptes de récits classiques qui guideraient les images plus que cet inverse sublimement proposé ici. La fille, dont le modèle se nomme Maria Lukyanova, devient un visage particulièrement attachant pour un spectateur tant ce ne sont ses motivations, parfaitement inconnues par ailleurs, qui nous dirigent, mais son regard sur un monde, et un désir d’aller à sa rencontre qui ne saurait ne pas se faire ressentir.

Les images deviennent matérielles, un nouvel expressionnisme naît de cette forme dont les traits rappellent non étrangement les plus belles inspirations de Carlos Reygadas, la conclusion de La Grâce n’est d’ailleurs pas si éloignée formellement de l’ouverture de Post Tenebras Lux. La majestuosité rencontre le sombre de ces villages délaissés de Russie. Les atmosphères se percutent, de l’idylle, douces envolées lyriques des lumières et des couleurs, à l’angoisse sinistre d’un délaissé habitat dans un village presque fantôme.

En ce sens, il est question d’une œuvre dont les enjeux de sensations sont centraux : Ilya Povolotsky met en scène des intériorités qui ne savent plus communiquer, la poésie émancipatrice n’est qu’individuelle et peine à être commune, malgré les liens familiaux. D’ailleurs, la mère est une figure dont l’absence est intelligemment marquée au cours du film, le long-métrage en devient même le récit d’un deuil.

La Grâce trouve parfaitement sa place dans le cinéma d’aujourd’hui, les enjeux formels rencontrent un regard sur la ruralité russe du XXIème siècle mais aussi sur une famille et des relations brisées par l’absence et le désir de l’inconnu : un jeune garçon, une rébellion, une plage.

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