UN CERTAIN CINEMA

[CRITIQUE] May December, de Todd Haynes (2024)

Gracie (Julianne Moore) avait épousé le jeune Joe Yoo (Charles Melton), l’écart d’âge se mesurait à 23 ans. Si la presse en avait fait un événement médiatique, jugé scandaleux par une partie de l’opinion, tout s’est calmé depuis. Leur vie semble harmonieuse, dans un climat de sérénité assuré par leur entourage. L’actrice Elizabeth Berry (Natalie Portman) se rend sur place pour comprendre ce qu’il s’est passé, où ce qui pourrait s’en rapprocher le plus pour pouvoir incarner Gracie…

Le synopsis de May December frappe par ses excès dramatiques. Un couple subsiste par le cadre qu’il s’est formé, mais flanche à la rencontre d’une femme souhaitant dévoiler leur passé. Todd Haynes réutilise le style camp ici, connu dans les années 60 pour exagérer des traits de la société. Il le fait sous plusieurs angles, tant par le dialogue semblant parfois être tiré de tragi-comédies que l’écriture dramatique. Les personnages sont principalement mis en scène à distance, marionnettes fragiles sans idéal ou fin particulière. Il faut se rapprocher d’eux à coups de zooms progressifs, pour trouver un semblant d’émotion. 

La différence d’âge portée par le titre même du film – expression anglo-saxonne désignant l’écart entre le mois de mai et décembre – n’est qu’un élément du décalage moderne en société, le couple en venant à se confesser auprès d’une comédienne comme un besoin.

Sans reprendre tout à fait les mêmes motifs que Persona (1966), May December ne fait que rappeler les écarts entre le cinéma et la réalité. Les codes imposés par les conventions narratives, à la manière du téléfilm aperçu sur le poste de télévision, ont-ils encore du sens lorsqu’ils déforment autant le « vrai » ? Dans la conclusion, Elizabeth finit par demander une nouvelle prise car elle n’est pas convaincue de son jeu. Elle conserve le sentiment d’en rester éloignée, et ce qu’elle renvoie à l’écran doit demeurer authentique. Lorsque les deux figures féminines se regardent à deux reprises dans un miroir, l’actrice observe au mieux l’autre pour pouvoir l’imiter plus tard. L’œuvre laisse l’impression du trouble et du malaise précisément car il y a une fausseté dans la représentation des relations qui se manifeste en permanence.

La musique de Michel Legrand issue du Messager (1971) accentue d’ailleurs cela, avant ou pendant les scènes charnières du long-métrage. Cette double lecture est tout à fait intrigante sans être rappelée en permanence, le duo inversant continuellement les rapports d’oppression ou de soumission. A contrario, l’emphase sur la perspective d’Elizabeth donne moins de vigueur à celle du couple bien qu’elle soit de circonstances. Il aurait peut-être été préférable de leur accorder plus de temps à l’écran, sans forcément raccrocher ces moments à l’intrigue première.

Les traits comiques sont soulignés par des positions caractérielles des individus dont Joe, pantin sans objectif ne sachant plus trop sa place dans le domicile conjugal. Tout doit être révélé alors que tout se sait déjà, par tous.  Cet humour noir est plutôt bien équilibré, chacun étant ridicule à sa manière de réagir en contradiction avec l’autre. Alors que l’actrice finit par ne plus résister à l’idée de s’investir physiquement et psychologiquement avec le couple, ceux qui le « connaissaient » d’emblée font office de témoins précieux. A croire qu’il est très difficile de comprendre l’affaire ! Les acteurs en contre-emploi pour la plupart, ils insufflent au récit une part d’anormalité convenue au propos. Dévitalisés, ils sont immobiles dans des lieux lumineux mais lisses.

Joe peut regarder son fiston au loin, que sa mère admire pendant la remise de diplômes. Il ne sait toujours pas s’il est encore enfant ou adulte, s’il se revoit. La vérité lui est tout aussi lointaine, mais paradoxalement moins incertaine.

La conscience identitaire en plus, il s’est différencié de l’acteur.

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